Versez un fond de vodka dans un verre à shot, dégustez à la fin d'une citation de Beigbeder. Retournement de cerveau garanti. Attention, l'abus de citations est dangereux pour la santé.
Photo Alexandre Tabaste.
Le vieux sage et les jeunes étudiants.
Premier cours universitaire. Ambiance électrique. Au bas mot 400 jeunes filles et garçons qui ne se connaissent pas, réunis dans un espace clos qui les tiendra ensemble durant toute une année.
A cet instant, si le prof avait lancé une musique à 4 temps, l’auditoire se serait transformé en une boîte de nuit.
A la place, l’homme au centre de la pièce - grand et désarticulé comme ces gens qui ont passé leur vie à soigner leur intellect au mépris de leur corps - commence son récital académique.
Pas de bonjour ni rien.
Paniqués, les étudiants s’affolent, ouvrent leur Mac, sortent leur cahier, et gribouillent frénétiquement les premières notes.
Je n’ai pas d’ordinateur.
Quelques feuilles blanches, piquées à l’imprimante du couloir, batifolent chiffonnées dans mon sac.
Merde, j'ai oublié mon stylo.
Alors je fais un truc qui ne m’arrive pas souvent: j’écoute un prof.
C’est pile à ce moment qu’il arrête de parler.
Pas de bol.
Après les déambulations, la révélation.
Le tonnerre de notes s'apaise aussitôt.
Le prof baisse la tête. Puis la relève.
Il dit...
Posez vos stylos. Eteignez vos écrans. Et, s’il vous plaît, écoutez-moi quand je parle. Ne notez rien. Ecoutez, remarquez, observez. Et si vous oubliez, tant pis. Ce qui est oublié ne mérite pas d’être souvenu.
Depuis ce jour-là, je n’annote jamais mes livres. Tout au plus, je souligne quelques phrases bien formulées. Et puis je les oublie.
Parfois, le plus souvent au réveil ou avant le coucher, elles réapparaissent comme par magie.
Ce matin, en préparant le café qui allait m’aider à trouver le nouveau slogan d'un client actif dans l'art, l’une d’elles m’a traversé l’esprit. Plus précisément, elle m’a pénétré l’esprit sans plus en sortir.
Un slogan c'est un aphorisme qui se vend.
Je suis presque certain d'avoir lu ça dans un bouquin de Frédéric Beigbeder. Sûrement même que c’était dans 99 francs.
Google ne trouve rien, lui qui trouve pourtant tout.
Alors je me dirige vers ma bibliothèque, le pas un peu mou à l’idée de feuilleter des centaines de pages à la recherche d’une citation.
Par chance, je tombe rapidement sur la page en question. Bim ! C'est bien de lui.
Mais la phrase exacte est un peu différente. Vous la trouverez à la 10e place du recueil qui suit.
Bon, maintenant que j'ai la tête dans ses livres, autant me mettre à la rédaction d’un article que je voulais écrire depuis longtemps: des morceaux choisis de l'oeuvre de Frédéric Beigbeder.
Qui est Frédéric Beigbeder ?
Avant de devenir auteur, il a été concepteur-rédacteur pour l’agence Young & Rubicam à Paris, au début des années 2 000.
Il s’est ensuite concentré sur son activité de romancier (L’amour dure 3 ans, 99 francs, L’homme qui pleure...) mais aussi de chroniqueur pour différents médias, du Figaro à France Inter.
Il a lancé sa vodka bio et écolo il n’y a pas très longtemps: Le Philtre.
(Frédéric, si vous tombez par le plus grand des hasards sur cet article, merci de me faire parvenir une bouteille signée à l’adresse indiquée sur la page de contact.
Une fois vidé de sa substance enivrante, le flacon jouera les serre-livres entre L'homme qui pleurait de rire et Les jours s'en vont comme des chevaux sauvages dans les collines.)
Surtout, son âme est douée d’une sensibilité littéraire doublée d’un point de vue original sur la vie - la frivolité est une affaire sérieuse -, offrant à sa plume des coups de génie réguliers.
65 citations de Frédéric Beigbeder sur la publicité, le marketing, l'écriture, l'amour et d'autres choses de la vie.
Pêle-mêle, brutes, sans explication, décontextualisées, toutes nues, hautement subjectives...
Les seuls sujets intéressants sont les sujets tabous. Il faut écrire ce qui est interdit.
La mondialisation ne s'intéressant plus aux hommes, il vous fallait devenir des produits pour que la société s'intéresse à vous.
L'amour est une lutte contre l'absurde par l'absurde.
Ce matin-là, le jour s'est levé. Je veux dire : il s'est vraiment levé car auparavant il été assis. Et je vous assure que ça fait une drôle d'impression, un jour qui tient debout.
Si tu es au bout du rouleau, alors, qui est à l'autre bout ?
Je pense à toi le matin, en marchant dans le froid. Je fais exprès de marcher lentement pour pouvoir penser à toi plus longtemps.
Connaissez-vous la différence entre les riches et les pauvres? Les pauvres vendent de la drogue pour s'acheter des Nike alors que les riches vendent des Nike pour s'acheter de la drogue.
On ne donne jamais le Pouvoir à ceux qui risquent de s'en servir.
Ecrire c'est porter plainte. Il n'y a pas une grande différence entre un roman et une réclamation aux PTT.
Un rédacteur publicitaire, c'est un auteur d'aphorismes qui se vendent.
Beaucoup d’auteurs n’ont tout simplement rien à dire d’indispensable.
Mon problème, c'est que tu es la solution.
L'amour est une catastrophe magnifique: savoir que l'on fonce dans un mur et accélérer quand même; courir à sa perte, le sourire aux lèvres; attendre avec curiosité le moment où cela va foirer.
Tout coeur qui n'est pas brisé n'est pas un coeur.
J’aime voir l’aube, quand le ciel prend une couleur de Bellini : un ciel qui mélange le champagne et le jus de pêche, voilà tout ce que je demande à la peinture vénitienne.
Ces amuseurs qui passent leur vie à se moquer d'autrui enragent si on les prend pour cible.
- Alors, tu vois toujours cette Claire ? - Non. On s'engueulait tout le temps. On n'arrêtait pas de se quitter. Parlons d'autre chose. C'est une dingo. Elle n'a aucun intérêt. Je m'en fous complètement. C'est totalement fini entre nous. - Ah... Tu l'aimes à ce point-là...
L’écriture autobiographique procure la même libération. On se débarrasse de son paquet de linge sale en le confiant aux lecteurs. L’auteur va mieux et le lecteur se sent au bout du rouleau.
La littérature m'apparaît de plus en plus comme une maladie, un virus étrange qui vous sépare des autres et vous pousse à accomplir des choses insensées (comme de s'enfermer pendant des heures avec du papier au lieu de faire l'amour avec des êtres à la peau douce).
Goebbels fut un concepteur-rédacteur émérite: "DEUTSCHLAND ÜBER ALLES", "EIN VOLK, EIN REICH, EIN FÜHRER", "ARBEIT MACHT FREI"... Gardez toujours cela à l'esprit: on ne badine pas avec la pub.
La création était-elle indissociable de la destruction ?
Le succès n'est qu'un échec raté.
C’est donc cela, la vie d’adulte : construire des châteaux de sable, puis sauter dessus à pieds joints.
Ma vie est un roman basé sur des faits réels.
C’est si simple de créer artificiellement de l’hystérie. Il suffit d’interdire l’accès de tout ce dont on a parle aux gens toute la journée.
Si votre femme est en train de devenir une amie, il est temps de proposer à une amie de devenir votre femme.
C'était un nouveau forfait proposé par Bouygues Telecom : le téléphone gratuit en échange de coupures publicitaires toutes les 100 secondes. Imaginez : le téléphone sonne, un policier vous apprend la mort de votre enfant dans un accident de voiture, vous fondez en larmes et au bout du fil, une voix chante "Avec Carrefour je positive".
Il vient d'avoir trente ans : l'âge bâtard où l'on est trop vieux pour être jeune, et trop jeune pour être vieux.
Que cherchons-nous dans les livres ? Notre vie ne nous suffit donc pas ?
J'ai calculé que j'ai passé le quart de ma vie devant la télé. Je ne sais pas si j'ai envie de la casser ou d'y entrer.
Je croyais qu'elle riait; en réalité elle montrait les dents...
C'est ainsi, ma vie est une suite d'éjaculations précoces ; je n'ai jamais su me retenir de vivre.
Tout est provisoire et tout s'achète. L'homme est un produit comme les autres, avec une date limite de vente. Voilà pourquoi j'ai décidé de prendre ma retraite à 33 ans. C'est, paraît-il, l'âge idéal pour ressusciter.
On peut oublier son passé. Cela ne signifie pas que l'on va s'en remettre.
C'est soit même que l'on abime le plus quand on fait souffrir quelqu'un.
Ce que je reprochais aux gens qui me connaissent, c'était précisément cela : me connaître.
Malheureusement la vie est humiliante tellement elle est simple : on fait tout pour échapper à ses parents, et puis on devient eux.
La première année, on achète des meubles. La deuxième année, on déplace des meubles. La troisième année, on partage les meubles.
Les grands livres, comme l'amour, nous font regarder le monde autrement.
Je suis un homme mort. Je me réveille chaque matin avec une insoutenable envie de dormir. Je m'habille de noir car je suis en deuil de moi-même. Je porte le deuil de l'homme que j'aurais pu être.
Le selfie est le langage nouveau d'une époque narcissique: il remplace le cogito cartésien. "Je pense donc je suis" devient "Je pose donc je suis".
La morale, c'est peut-être ringard, mais ça reste encore ce qu'on a trouvé de mieux pour distinguer le bien du mal.
Il est absurde de me reprocher mon autodestruction hebdomadaire alors que l'ensemble de l'humanité bousille son environnement quotidiennement.
Une mauvaise réputation se gagne en un clin d’œil, et se perd plus lentement.
L’idéal est une folie mais l’absence d’idéal est pire.
Le coup de foudre existe, il a lieu tous les jours, à chaque arrêt d'autobus, entre des personnes qui n'osent pas se parler. Les êtres qui s'aiment le plus sont ceux qui ne s'aimeront jamais.
L'athée cherche quelque chose qu'il ne trouve pas. L'artiste trouve quelque chose qu'il ne cherche pas.
Le plaisir présente un avantage : contrairement au bonheur, il a le mérite d'exister.
Quand les gens se quittent au soleil, c'est qu'ils ne se supportent vraiment plus.
Être seul est devenu une maladie honteuse. Pourquoi tout le monde fuit-il la solitude? Parce qu'elle oblige à penser.
La courtoisie est, avec la timidité, un de mes gros handicaps dans la vie. J'ai toujours pensé que si tout le monde était bien élevé, la société n'aurait plus besoin de lois.
C'est ainsi, ma vie est une suite d'éjaculations précoces ; je n'ai jamais su me retenir de vivre.
Enfant, je voyais souvent le soleil se coucher ; adulte, je le vois souvent se lever. Les aubes sont moins sereines que les crépuscules.
A présent ce n'est plus le moment de rire, c'est le désespoir qui marche, c'est la trouille qui se vend.
C’est ce qui fait mon charme : j’ignore si j’en ai eu.
Le bon sexe c'est quand deux égoïstes cessent de l'être.
Nous formions ce qu'on appelle un jeune couple dynamique, c'est-à-dire que nos deux égoïsmes se complétaient et que notre paresse sentimentale nous rapprochait considérablement.
La meilleure preuve que les célibataires sont affligeants, c’est que les femmes n’en veulent pas : elles préfèrent draguer le mari de leur meilleure amie.
Peut-on penser comme Baudelaire avec les mots de Bukowski ?
Il n'y rien de plus laid qu'un homme qui se trouve beau.
Je cherche des raisons de me plaindre mais je n'en trouves pas. Ce qui m'en fournit une.
Les choses importantes de ta vie, les journaux n’en parlent jamais. Les choses belles dont tu te souviendras au moment de ta mort ne sont pas imprimées dans les magazines, ni dans les témoignages de stars. Ta nostalgie, tes amours, ta famille, le sens de ton existence, la beauté, la vérité, tout cela est dans les romans et nulle part ailleurs.
L’écrivain, le vrai, a donc en lui un besoin impérieux de dire la chose la plus belle et importante sous peine de crever, et cependant il doit flemmarder, paresser, prendre son temps, allumer un feu l’hiver, nager en été. Un flâneur qui se prend la tête, un homme pressé de tergiverser, un procrastineur fiévreux: la condition de l’écrivain est la plus schizophrénique du monde.
J.D. Salinger dit quelque part que “les poètes prennent la météo trop personnellement.”
Hemingway, Kawabata, Pavese, Crevel, Rigaut, Woolf, Drieu la Rochelle, Gary, Mishima, Montherlant, Zweig, Debord, Levé… A croire que la littérature est un sport plus dangereux que la F1.
Loris (et beaucoup de Beigbeder),
Copywriting français.
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