“Putain j’ai envie de jouer au foot.”
“Arrête de parler comme ça, on va encore se faire engueuler.”
La maîtresse ouvre la porte.
“Bonjour maîtresse”, en choeur.
“Bonjour, aujourd’hui, on va dessiner.”
Je fouille mon cartable pour y débusquer ma boîte de crayons de couleur Caran d’Ache, dont le prix avait donné le tournis à ma maman la semaine dernière.
La mission de ce dernier cours du jour est de dessiner une main. Celle de notre voisin.
Je parviens à tracer les lignes de ce qui pourrait ressembler à une main avec des doigts épais et carrés.
La vraie galère, c’est quand je dois y mettre de la couleur. La consigne est claire: crayon gris pour le pourtour, couleur peau pour l’intérieur.
Couleur peau, c’est un crayon rosâtre. Avec ça, je pourrais dessiner un saumon, mais pas ma main, qui tend plus sur la cacahuète, et encore moins celle de mon camarade cap-verdien - Nelson - qui tend sur le chocolat.
Je finis le dessin avec une sorte de marron et lui une sorte de beige, faute de mieux.
Nelson et moi on se regarde. on lorgne le reste de la classe. Et ni lui ni moi ne comprenons pourquoi un crayon qui pourrait servir à deux ou max quatre mains sur une bonne cinquantaine s’appelle couleur peau.
Comme s’il n’y avait qu’une seule peau qui mériterait un crayon.
Je repense souvent à cette anecdote. Elle n’est pas étrangère à ma soif de créer et d’entreprendre des trucs.
Pour moi, créer et entreprendre, ce n’est pas une question d'argent, de liberté ou d'indépendance. C'est plutôt une envie de donner un crayon à chaque peau.
Ma peau, c'est la langue française, et j'aimerais vous transmettre l'état d'esprit et les techniques permettant d’exprimer votre propre personnalité en marquant le monde de l’empreinte de vos idées, même si ça veut dire commencer un mail pro par un gros mot.
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