Derek Sivers disait: “même si tu veux que ton entreprise grandisse, veille à ne jamais te comporter comme une grande entreprise.” Qui c'est ce type ? Juste un gars qui a créé un site web pour le plaisir et qui l'a revendu à 22 millions de $ en soignant 5 petits détails (dont le plus gros est textuel). Voici lesquels.
Récemment, une cliente m’a contacté pour écrire les textes de son e-commerce.
On avait convenu de dynamiser l’image de marque, qui était alors aussi ennuyeuse qu’une conférence de presse du Conseil fédéral suisse. L’idée, c’était d’allier les meilleures techniques de copywriting pour se démarquer et persuader - notamment l’identification des mécanismes uniques du problème et de la solution - puis de booster le tout avec un ton de voix coloré qui apparaîtrait dans les moindres détails - autant dans le titre que dans les boutons ou les descriptions de produit.
Elle n’était pas prête.
Quand elle a reçu le manuscrit, il lui est tombé des mains.
Son contenu était si lourd qu’il a dû fissurer le sol, mais ça c’est une autre histoire. Enfin, pas vraiment, puisqu’elle a bien reconnu que certains passages étaient mémorables, mais que le tout ne correspondait pas à la façon dont l’entreprise s’exprimait au quotidien. Le ton devait être plus informatif, pédagogique tout en étant empathique.
Et puis… et puis les fiches produits ressemblaient plus à des articles de blog qu’à des pages de vente. Euh… c’est un peu le but, non ?
C’est là que j’ai compris.
Je conçois tout à fait que la plupart des entrepreneurs souhaitent maintenir un ton neutre parce que ça correspond plus à leur personnalité.
Ce que je ne conçois pas, c’est que les entrepreneurs maintiennent un ton neutre par crainte de ne pas paraître professionnels.
(D'ailleurs, ce n'est pas une entreprise qui s'exprime, ce sont les humains qui gèrent cette entreprise au quotidien).
Et c’était ici le cas. Déjà parce qu’un ton neutre, informatif et pédagogique n’a rien d’empathique. Il peut être compassionnel, d’où la recherche du problème et de la solution, mais pas empathique.
Un jour j’écrirai un article sur cette différence fondamentale et pourtant si mal comprise.
Et puis parce qu’une page de vente (en réalité une fiche produit) qui ne ressemble pas à une page de vente, c’est une consécration, pas un problème.
Le truc, c’est qu’elle voulait faire comme les grandes entreprises, en conférant au texte un aspect onirique, typique de la comm’ des marques de luxe. Un peu à la Jacques Séguéla, sauf qu’on n’est plus dans les années 80 ou 90 et qu’une Rolex à 50 ans, c’est une ambition ridicule pour les jeunes d’aujourd’hui.
Et la pire faute pour une petite entreprise - même si elle veut grandir - c’est de se comporter comme une grande entreprise.
Et c'est là que la parenthèse personnelle s'arrête et que commence l'aventure soufflée dans le chapô de l'article.
Il crée un site par plaisir, il le revend 22 millions de $.
Son secret ?
Matérialiser sa vision de la musique, ce qui revenait à n’écouter personne d’autre que lui, puisque sa vision était en tout point contraire aux grandes maisons de disques.
Reprenons depuis le début.
CD Baby contre Goliath.
Derek Sivers est un musicien qui vivote de ses performances live à travers les USA.
Il a un petit studio d’enregistrement, aussi.
En 1997, il sort un CD. Et quand il s’aperçoit des marges que s’octroient les majors de l'industrie musicale, il décide d’ouvrir un site internet, CD Baby, pour vendre son CD de son côté. Quelques-uns de ses amis lui demandent s’il accepterait d’y mettre aussi le leur.
Il dit oui à tout le monde, et commence à monétiser ce service d’intégration. De fil en aiguille, il devient le plus gros distributeur en ligne de musique indépendante au monde. Jusqu’à revendre l’entreprise, une dizaine d’années plus tard, à 22 millions de $.
Sivers a écrit un livre dans lequel il relate son aventure. Et quand on lui demande comment il a fait pour construire une communauté géante et plus fidèle que Di Caprio l’est envers Scorsese, il dit que CD Baby n’a jamais voulu être une grande entreprise.
Dit autrement, il soignait les détails que les mastodontes de l’industrie musicale considéraient comme superflus.
Comme le disait Claude Lévi-Strauss, il n'y a pas d'identité sans différence.
Les 5 petits détails qui ont fait toute la différence pour CD Baby (dont le meilleur mail de remerciements de l’histoire du e-commerce).
Les employés de CD Baby répondaient systématiquement lors des deux premières sonneries.
Quand CD Baby envoyait des emails, c’était non pas sous le simple nom de “CD Baby”, mais de “CD Baby Loves (votre prénom)”.
CD Baby se limitait normalement à un service d’intégration des titres envoyés par des artistes indépendants, mais il arrivait que ces derniers aient d’autres demandes, comme un changement de photos, etc. La politique de la maison était claire: “on fait tout ce que vous voulez contre une pizza.” Le service de base était payant en $, et tous les extras contre une pizza. Amusés, tous les musiciens en parlaient entre eux.
Quand les clients achetaient un CD, le site demandait où avaient-ils connu l’artiste. L’information, précieuse quoique non nécessaire au business plan de CD Baby, était envoyée à l’artiste en question, qui se sentait vraiment pris en compte.
Quand un client passait commande, il recevait l’email de remerciement le moins formel de l’histoire du e-commerce, mais aussi le plus viral. Rien que ce message a amené des dizaines de milliers de nouveaux clients - grauitement - à l’entreprise de Sivers Derek.
En guise de conclusion, voici l’email traduit par mes soins (de non traducteur pro). Vous pouvez lire l’original ici.
“ Votre CD a été délicatement retiré des étagères de CD Baby avec des gants stériles anti-contamination et placé dans un boîtier en satin.
Une équipe de cinquante personnes l'a inspecté et nettoyé afin qu'il soit dans le meilleur état possible avant son expédition.
Notre spécialiste japonais de l'emballage a allumé une bougie et le silence s'est installé dans la foule lorsqu'il a placé son CD dans le plus luxueux coffret à bords dorés qui soit.
Puis on a organisé une belle fête et on s’est dirigé vers le bureau de poste le plus proche, où toute la ville de Portland a souhaité "Bon voyage !" à votre colis, qui est parti rejoindre sa nouvelle maison à bord du jet privé de CD Baby aujourd'hui, vendredi 6 juin.
J'espère que votre expérience chez CD Baby vous a entièrement satisfait. Cela a certainement été le cas pour nous. Votre photo est déjà accrochée sur une paroi de notre bureau, sous le titre de "Client de l'année". On est épuisé, mais on a hâte que vous reveniez faire vos achats sur cdbaby.com !”
Bref, comme le dit Derek Sivers, même si vous voulez que votre entreprise grandisse, la pire chose à faire, c’est de vous comporter comme si vous étiez à la tête d’une grande entreprise.
(Et si vous voulez que vos textes ressemblent à une multinationale active dans la construction ou le nucléaire avec un siège basé en Suisse allemande, merci de ne pas me contacter.)
Loris,
CF.
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